lundi 29 octobre 2007

On peut toujours discuter - 1

De : Brice Catherin
A : Roberto Garieri

Salut ma petite caille dorée,

Comme j’ai un cerveau trop lent pour pouvoir discuter de vive voix de choses faisant appel à toute forme de réflexion intellectuelle, je pensais t’envoyer un émail, et puis constatant que notre discussion pourrait avoir un intérêt pour tout le collectif3, voire, pourquoi pas, pour toute personne aussi naïve que moi se posant des questions sur le théâtre, je décide carrément de le balancer sur ce blog en pâture à nos millions de lecteurs quotidiens.

Rappelons pour les autres et pour nous-même notre différend du jour : tu prétends que la Divine Comédie est une partition, moi, non. Si un désaccord ne me gêne pas forcément – et si c’en était un en ce qui nous concerne il ne me gênerait en l’occurrence pas – je suis par contre bien plus embêté par cette chose pénible qu’est l’incompréhension. Or, force est de constater que nous ne nous comprîmes pas. Je vais donc essayer de m’expliquer autrement, et t’invite ensuite à réagir à mon explication afin que je te comprenne à mon tour, pour autant que tu m’aies compris après ladite imminente explication.

De mon humble avis, en ce qui concerne la codification d’une œuvre vivante (théâtrale, musicale, chorégraphique ou autre), il me semble que deux sortes de codifications sont possibles :

1) Soit tu codifies, avec toutes les lacunes que cela suppose, le produit d’arrivée. C’est ce que fait une partition, qui n’est pas un produit fini (la partition n’a pas de raison d’être sans l’interprète) mais tente de codifier le plus précisément possible le produit fini par ledit interprète. C’est aussi le cas d’un texte théâtral au sens strict du terme (car on pourra m’objecter que tout texte est théâtral). Encore une fois, une codification exhaustive est tout simplement impossible, mais c’est pourtant la codification du produit final que tentent les susnommés supports.

2) Soit tu codifies le produit de départ de (ce qui va devenir) ta production finale. C’est-à-dire qu’entre le produit de départ (une idée, un concept, un texte philosophique…) et le produit d’arrivée a eu lieu tout un processus d’adaptation, de traduction, ou que sais-je encore, mais que ce produit de départ, s’il impose un thème, ou une direction au travail, n’en impose certainement pas son résultat final (comme tente de le faire, disais-je donc, la codification du produit final dont nous parlions au point 1 du présent exposé). Pour prendre un exemple peu ambigü (me semble-t-il), quand Richard Strauss fait du Ainsi parlait Zarathustra de Nietzsche un poème symphonique (sans chant, sans texte), il a pris un produit de départ qui est un texte de Nietzsche, et en a fait un produit d’arrivée dont la direction et le fond découlent du produit de départ, sans pour autant être sa formalisation stricte (quelle pourrait-elle être, d’ailleurs ?), et, pourtant, sans l’avoir trahi ! (Du moins de mon humble point de vue.)

Alors notre incompréhension mutuelle, je la soupçonne d’être là : où met-on Dante ? Pour moi c’est clair : Dante c’est un produit de départ, qu’il n’est pas question de trahir, mais qu’il n’est pas question non plus de prendre comme le code d’un produit fini (soit : un texte à livrer tel quel). Pour toi, cela semble être clair : la Divine Comédie est le code d’un produit d’arrivée et doit donc, et vu comme ça, comment pourrais-je te donner tord ?, être lu tel qu’il est.

Est-ce que j’ai bien compris ton raisonnement ?

Maintenant, je me pose toutefois des questions concernant la Divine Comédie comme codification de produit d’arrivée : on a lu ce texte, tous ensemble, plusieurs fois, et au début (même après la deuxième lecture), le taux de compréhension tournait entre un (pour moi) et quatre (pour toi et selon ta propre estimation) pour cent. Alors comment peut-on penser que de livrer ce texte tel quel à un éventuel auditoire le rendra pour ce dernier compréhensible ? Par quel miracle ledit auditoire comprendrait-il plus que quatre pour cent de ce texte lors d’une hypothétique lecture ? Est-il cent à vingt-cinq fois plus intelligent que nous ? Connaît-il déjà super bien ce texte ? (Alors pourquoi le lui lire ?) Bref, vu de cet angle, livrer le texte de la Divine Comédie « tel quel » me paraît carrément une absurdité. Mais je n’exclus pas la possibilité d’être un con et de ma gourer complètement.

Enfin, une dernière remarque, qui entre dans le plus pur domaine de la subjectivité, mais je te la livre quand même : je ne peux m’empêcher de penser que ce besoin viscéral de texte n’est pas autre chose qu’un besoin de bouée de sauvetage (crevée, d’ailleurs, à mon avis). Comme si le texte allait nous sauver, allait faire le boulot à notre place, ou que sais-je ? Je ne peux m’empêcher de penser que ce respect proche de la vénération pour le texte cache en réalité une peur bleue de se retrouver sans texte. Moi qui ai mis vingt-quatre ans à faire un son sans partition, je ne vais pas jeter la pierre, au contraire, cette peur ne m’a été que trop familière. Encore une fois, il ne s’agit là que d’une intuition, d’une remarque subjective, et il te suffira de me dire le contraire pour que je l’oublie.

Voilà, je te remercie d’avance de répondre à mes questions. Encore une fois je suis mal à l’aise avec l’incompréhension, a fortiori quand elle sous-entend que je suis un intrus et que je n’ai pas ma place là où je suis. Car si la mission du collectif3, fut-ce pour trois mois seulement, est de livrer un texte textuellement (la redondance est volontaire, hein, c’est bon), je ne vois pas ce qu’un musicien vient foutre là-dedans. Sincèrement. Bien que ce soit d’un réel intérêt, me semble-t-il, que je sois amené à lire, je doute que ma présence ne soit motivée que par cette seule lecture, sinon on aurait engagé des gens mieux placés. Bref, réponds, car on s’aime et on regarde ensemble dans la même direction, donc ça serait bien qu’on pige ce qu’on veut dire l’un et l’autre.

Gros bisou et à demain,

Brice.

1 commentaire:

Jean-Louis J. a dit…

Salut à tous,
je tiens à saluer cette volontée de compréhension élargie qui est le signe, à mon sens, de dynamisme et de santé nécessaire à toute création artistique.
Je continue à vous suivre de loin et mange du texte de mon côté.

Youhou