lundi 11 février 2008

Chant VIII (première version)

Après ses « années d’exil » (Dante souffre d’une grave psychose paranoïaque et est persuadé d’être persécuté par Rome, qui franchement s’en tripotte l’une sans faire bouger l’autre), notre bon vieux Alighieri, à la lueur de quelques bougies (pas trop, les voisins ne doivent pas l’apercevoir), s’assied à sa table, relève sa tunique humide de saleté jusqu’à la poitrine, sert son petit poing droit autour de sa plume et son petit poing gauche autour de sa bistouquette, et reprend son éloge gay là où il l’avait laissée, c’est-à-dire dans un bain de boue où s’ébat un bataillon de corps musclés et tendus en une grande orgie sado-maso.

Dante, déjà passablement émoustillé par le souvenir de cette scène, s’était promis de continuer son récit, mais il n’y tient pas : en un flash-back, le voici replongé dans ladite boue avec Virgile, le chef des village people antiques dont lui-même est le sixième.

Déchaîné, le Dante. Carrément déchaîné. Il a décidé de ne rien nous épargner : après l’allégorie pitoyablement phallique de la flèche et de l’arc qui décoche comme je te dis pas, débarque (au sens propre du terme) une sorte de Darth Vador hyper testostéroné, émergeant des brumes pour se faire casser aussi sec par papa Virgile. Dante se paluche en écrivant ces lignes, rien de tel qu’une bonne scène d’humiliation après l’orgie sado-maso. Mais ce n’est que l’échauffement.

Dans la vraie vie réelle, Dante a un ennemi politique : Filippo Argenti, le vilain noir florentin. Manque de bol, Dante est tellement nul en politique que Filippo ignorerait presque son existence s’il ne le harcelait régulièrement, l’insultant et le hélant en pleine rue à toute heure du jour et de la nuit. Mais Filippo reste zen, au point qu’on peut dire qu’il n’en a rien à foutre du vieux Dante. Confronté à un tel mépris, Dante a piqué une grosse colère, et pour se soulager, il plonge ledit Filippo (qui, entre parenthèses, l’excite à mort) dans la boue, et imagine Virgile lui défoncer la tronche à coups de tatane, puis les gang-bangueurs sado-maso cités plus hauts lui fondre dessus à bras raccourcis. Ça lui suffirait bien à finir sa branlette, mais Dante est un raffiné. Pendant que son pire ennemi se fait déchiqueter son corps de rêve, l’ami Virgile lui roule un énorme steak (et encore, c’est une litote) en lui parlant de sa petite maman en termes élogieux et sous le regard de notre Darth Vador d’opérette. C’en est trop : Dante, celui qui est à sa table en train d’écrire, décharge en un petit cri poisseux et un peu plaintif. Il s’essuie ensuite avec sa tunique, s’y mouche, va pisser dans un coin de la pièce en sanglotant, et finit de noyer son post-coïtum au ratafia avant de sombrer dans la forêt obscure d’un sommeil lourd et pénible.

Quelques jours passent. Dante n’a rien écrit entre temps. Dante est une grosse feignasse qui attend que ça vienne. Dante le frustré (rappelons brièvement que Dante a fantasmé toute sa vie sur une meuf aperçue trois fois, qu’il ne se tape que des thons et que ses gosses sont au fait ceux que sa femme a eus avec un riche évêque de Rome au service duquel elle fut durant quelques années) se réinstalle à sa table avec sur sa tête une casquette plombée, et dans sa tête la merveilleuse séance d’onanisme littéraire de la dernière fois.

Arrive son compagnon de boisson, Brunetto Latino, avec de mauvaises nouvelles : la veille, alors que Dante écumait les bistrots en ahanant son demi chant VIII comme un âne braie lorsqu’il est en rut, et ce dans l’espoir naïf de s’attirer les grâces de quelques demoiselles, en vain comme on s’en doute, se trouvait malencontreusement dans l’un desdits bistrots notre bon vieux Filippo Argenti. Ce dernier a quelque peu pris la mouche, et a mis son zen de côté un court instant pour demander à Brunetto s’il pouvait intercéder en sa faveur auprès de Dante pour que celui-ci lui lâche la grappe, parce que le coup de le balancer en enfer ressemblait à s’y méprendre à du harcèlement moral. Pire que du lait sur le feu, Dante, en entendant ces paroles explose littéralement. « MAIS FAIT CHIIIIIER, MERDE ! » éructe-t-il comme on éjecte un étron d’un rectum, au bord de la rupture d’anévrisme, « MAIS PUTAIN DE MERDE MAIS C’EST DE LA LITTERATURE MERDE, JE SUIS UN PROFESSIONNEL MOI MERDE, C’EST PAS CONTRE LUI PUTAIN DE MERDE, SI IL LE PREND PERSO C’EST PAS MON PROBLEME J’SUIS UN AUTEUR PROFESSIONNEL MERDE FAIT CHIER PUTAIN ». Le visage violacé par la rage, Dante martèle le mur de son pied jusqu’à en saigner, les yeux sortant des orbites, la morve au nez coulant jusqu’aux lèvres et la bave au coin desdites lèvres. « JE SUIS UN PROFESSIONNEL MERDE IL PEUT PAS COMPRENDRE CE GROS CON DE FILIPPO DE MES DEUX DE PUTE A CUL DE BORDEL A MERDE ?! » Il tombe à genoux, n’étant plus porté par son pied meurtri, et tambourine maintenant des deux poings sur le sol, puis renverse table, chaises, chandeliers. Arrivent alors les voisins alertés par le bruit, et qui, à l’aide de Brunetto, maîtrisent le forcené, avec dans leurs gestes la précision de ceux qui ont l’habitude des crises de furie du génie. Il ne faut tout de même pas moins de huit personnes pour réussir à lui faire avaler ses gouttes. Sous l’emprise de cette drogue violemment opiacée, Dante, après une sieste de quelques heures, écrit la seconde partie du chant VIII avec la main tremblant encore de haine pour le Filippo de ses deux.

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