jeudi 8 novembre 2007

Texte à pile (réponse)

Très cher Brice,

Tout d’abord, pardonne-moi d’avoir mis autant de temps à te répondre, ce n’était en aucun cas de la mauvaise volonté. En posant ces questions pertinentes, tu as soulevé deux ou trois pierres et comme l’une d’entre-elles cachait un scorpion, ceci a eu pour effet de me faire sursauter. Je me suis remis de ma frayeur et je peux (enfin) écrire.

Je tiens à préciser que les réflexions qui suivent sont purement subjectives.

Pour replacer le contexte, l’initiation du débat suscité par l’hypothèse d’une éventuelle mise en scène de l’intégralité du texte.

Lors d’une impro , Manon s’est écriée : « Mais où est la poésie ? »

L’idée de la lecture comme ambition de travail n’est pas satisfaisante car jusqu’à maintenant, je ne pense pas que le cadre d’une lecture seule du texte « tel quel » permette de faire apparaître le caractère poétique et politique, mais risque plutôt de nous faire sentir impuissant face à son volume et à sa complexité. Dans le fond je n'en sais rien de comment il faut monter ce poème de Dante, par contre au risque de paraître totalement réac, je peux dire qu'il me semble intéressant pour notre époque, de chercher à réunir des  spécialistes de la question, des gens du spectacle, des éventuels curieux, des femmes au foyer, des djeunz et des vieux, autour de cette matière, durant le temps d'un spectacle. C'est un peu le rêve de voir la représentation comme une réunion d'amis qui n'ont pas nécessairement besoin d'être toujours d'accord, afin de voir si il est possible en 2007 de rêver ensemble ce que peux bien être la source du mal tapi dans chacun de nous et bien sûr de son contraire. Nos société laïque, d'origine judéo-chrétienne, voient, impuissante, la monté inquiétante du manichéisme, du fanatisme et autre forme de simplification de l'exercice de penser. Ces signes sont à eu seul des moteurs prodigieux pour l'action théâtrale. De nature foncièrement pessimiste, j'ai besoin d'être rassuré par l'éventuelle possibilité qu'au travers de ce voyage de plusieurs mois puisse se profiler un message d'espoir.   

Il est à mes yeux très important de pouvoir rendre palpable la tension d’un être tourné vers un au-delà ou un idéal.  L’exercice de la lecture jusqu’à maintenant c’est un peu se couper l’herbe sous les pieds, ça peut s’avérer très frustrant : ne pas comprendre quelque chose qui serait présenté comme compréhensible, je ne vois pas le but.

Par contre donner à voir et à entendre, quelque chose qui est tendu dans une direction, tourné vers quelque chose, voici qui me semble plus intéressant. En tant que spectateur peut importe si je ne comprends pas le texte, j’accepte la situation a condition de sentir que le spectacle est un processus, une mise en place de quelque chose qui est tendu vers. La question c’est : Qu’est-ce qui est tendu vers quoi ?
Je ne sais pas encore dire avec précision vers quoi se tends ce dispositif,  mais je l'imagine tendu vers quelque chose d’impossible, d’utopique. Le monde des Schtroumpf tendu vers une société sans classe, l’idée de l’aveuglement des masses tendu vers un concept de lunette qui déshabille ou je ne sais pas moi, le jeu du Monopoly tendu vers un monde sans horloges.

Dante tendu vers Béatrice. Un vivant tendu vers une morte. Il bande. Il ne peut pas y avoir de coït. Aucun enfant ne peut naître de cet accouplement post-mortem. Peut-être que la vision amoureuse du texte est une conception purement mucho-macho et nécrophile, je n'en sais rien. Un texte érigé en direction du ciel, totémique, un truc de mecs.

Parenthèse: Virgile et Dante en enfer, chauds comme la braise

Dante : « Je ne sais pas ce que j’ai, je me sens seul et déprimé. »
Virgile : « Viens faire un tour avec moi, je connais un club sm, ça s'appelle l'Enfer. Ceci devrait te réveiller les sens, engourdi par trop de masturbation et de rancoeur. Là-bas,  je vais te montrer la taille de ma pensée… »
Dante : « Oh Virgile tu as eu une trop bonne idée. Comme dirait la panthère, je reprend du poil de la bête : fuck le pape ! vive l’amour ! »
Virgile : « Le pape vit, Béatrice est morte, happy end : c’est une comédie ! »

Poétique
Sans vouloir citer Aristote, je ne pense pas que tout texte est poétique, mais celui de Dante l’est indéniablement, à mes oreilles. Il ne l’est pas seulement parce qu’il rime.
Je pars du principe (peut-être que je me trompe) qu’un texte versifié est un texte codé pour être dit. En l’occurrence le code est très simple : le vers donne le rythme, il organise le souffle. Je ne veux pas dire par là que c’est uniquement la métrique qui fait la poésie, la poésie de Dante existe au-delà de cette définition, les traductions nous le prouvent : celles qui ne respectent pas le mètre ne sont pas forcément moins poétique. Voici pourquoi je dis que le texte est une partition, il organise l’univers de Dante et avant tout lui permet d’exister en tant que devenir-poésie, et de là devenir-autre chose comme par exemple devenir-théâtral. Si l’on prétend travailler sur la « Divine Comédie » avant d’écarter l’hypothèse après cinq semaines (seulement), que ce texte puisse être dit dans l’intégralité, il faudra me convaincre qu’il ne puisse pas l’être. J’ai et j’aurais toujours l’impression de n’avoir pas ma place au sein du collectif si je n’arrivais pas à partager cette idée et de la rendre digne d’intérêt, au moins comme base de travail. Je ne veux pas dire par là que tout le travail devrait absolument être tourné sur comment dire ce texte (en tant qu’option définitive et inébranlable), mais à l’inverse qu’une chance soit laissée à ce texte de (peut-être) pouvoir être dit et entendu. Ceci n’a rien à voir avec une peur et une bouée de sauvetage, ceci a plutôt un rapport avec la responsabilité en tant que comédien d’être le passeur(Charon) d’un message venant de loin et d’ailleurs (l’Enfer-1300-Dante). Car à ce stade s’il faut choisir entre l’avarice et la prodigalité, j’opte pour la deuxième proposition et redouble mon envie « de me jeter dans la plus grosse flamme », comme dirait notre maître de Kung-fu.

adaptation

Je n’ai rien contre l’idée d’une adaptation mais pour le coup, si tu voulais me donner une idée de ce que l’on peut faire dans la matière tu aurais pu choisir un autre exemple que celui que tu as choisi dans ton message. Car ce que tu proposais concernant l’adaptation de « Ainsi parlait Zarathoustra » par Strauss, je ne vois pas où tu veux en venir, car si je me souviens bien, les nazis ont tout de même bien réussi par un processus de simplification plutôt navrant, à adapter la pensée de Nietzsche dans leur sens et que triste est de constater que Strauss qui plus tard allait devenir le président de la Reichmusikkamer n’allait en tout cas (apparemment )pas les contredire. À ce stade le «ainsi parlait Zarathoustra » de Strauss pourrait tout à fait s’appeler « 2001 l’odyssée de l’espace » qu’on y verrait que du feu.

L’adaptation est un facteur de l’évolution des espèces, soulevé par Darwin.

Comme tu le soulignes très justement Dante n’écrit pas une à proprement parler un texte théâtral. Intégralité ou pas, l’Enfer sera une adaptation. Et comme nous sommes un collectif ce sera donc une adaptation collective.

Lettres adressées à des amis

Voici que je peux reformuler mon utopie, ma question est là : est-ce que Dante en tant qu’écrivain (non pas juste individu) traversant cet espace clos qu’est l’Enfer en route pour cet espace infini qu’est le paradis, ne pourrais pas être mis en parallèle, certe de manière maladroite, avec l’émancipation d’un être scénique (comédien, danseur, musicien) en tant qu’acteur de sa propre pensée (comédien-penseur, danseur-penseur, musicien-penseur) rejoignant un groupe d’amis et de semblables(collectif)?

Le théâtre comme lieu réunissant toute la cité sur des interrogations concernant la cité, la scène comme lieu de conception de l'exercice de la pensée comme action collective, voici l'utopie.
 
Je ne sais pas ce que tu en penses, mais j'ai l'impression que nos esprits sont tellement saturé d'images et d'information et que monter sur scène signifie avant tout se soumettre au diktat de l'efficacité, une efficacité du luxe. Le théâtre est devenu un lieu inutile, et c'est cette inutilité qui le rend poétique. J' ai l'impression que le texte de Dante et le geste théâtral ont ceci en commun qu'il semblent sortit d'une autre époque. Une adaptation en langage sms éclaircirait-elle notre société sur la babelisation du monde?  Dans la fournaise de la société de communication, communiquer a-t'il encore un sens en dehors de critère d'efficacité? 

L'être collectif et le temps

A la question concernant l’importance du sens que cela peut avoir de savoir quelle est ton utilité en tant que musicien dans un travail sur le texte, je peux te dire que je me pose la même question de savoir quelle est ma place en tant que comédien sur le non-travail du texte. Dans l'absolu je ne pense pas que le texte au théâtre est absolument indispensable. J’ai participé à des projets de théâtre sans texte, de théâtre avec des textes écrits par les acteurs, des projets de théâtre d’auteurs classiques et contemporains . Tu dois sûrement être d’accord qu’à chaque spectacle, une nouvelle problématique, dictée par les enjeux artistiques et leur réception par le public, le temps de répétition, le nombre de personne impliquée dans le projet et toutes sortes d’autre contingence plus ou moins triviale. Dans ce projet, je crois qu'un travail sur le texte est important, parce que travailler ce texte, c'est résiter à la dictature de la mode,  du cool et de l'humanisme branché. Ce texte n'est pas facile, il nous interroge constamment ne nous laissant pas de répit, autant dans notre rapport à nous-même, que notre rapport au monde. Mais plus que ça, dans ce projet précis je pense que la question n’est pas de débattre sur le fait de savoir si pour moi ce texte est central ou si pour toi il est périphérique. Mais plutôt de trouver comment les apparentes contradictions peuvent trouver un langage d’échange. Nous avons maintenant amorcé un terrain de réflexion autour de la problématique de la scène. Nous réussissons à dialoguer, c’est déjà ça.

Nous sommes face à plusieurs problèmes, qui peuvent devenir des enjeux pour la suite:
-. Nous éprouvons de la difficulté de trouver un espace de travail en commun autonome (sans impulsion extérieure).
-. Comment concilier le courant pro-texte de Dante et le courant anti-texte, sans déboucher sur un consensus, mais plutôt sur une complémentarité.
-. remettre en question la conception de temporalité du geste théâtral et ce qu'il implique.
-. s'interroger sur: qu'est ce que la poésie.

Voilà, mon cher Brice,
à demain

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