samedi 3 mai 2008
lundi 11 février 2008
Chant VIII (deuxième version)
Bref, ça va mal. Dante n’a plus la motive, et pour couronner le tout, il s’est méchamment frité avec les petites frappes toutes susceptibles de Rome, qui manque de bol font la pluie et le beau temps dans le coin. Arrivé à Florence histoire de changer d’air, il constate affligé que sa réputation l’a précédé. Si ce n’était que ça, tout irait bien, mais re-manque de bol ladite réputation s’est alourdie de rumeurs en cours de route, et tout le monde voit en Dante un flagorneur dragueur de première, lui, l’humble créateur timide pour ne pas dire renfermé, dont l’excessive amabilité envers la gent féminine n’est que le maladroit cache-sexe d’une gêne compulsive en présence du beau sexe, a fortiori lorsqu’il est bien roulé.
Loin de chez lui, seul comme une vieille merde même plus reniflée par les chiens les plus misérables, ignoré par les unes et jalousé par les autres, Dante relève néanmoins les manches de sa tunique froissée, après avoir glissé ses petits petons dans ses chaussons dépareillés et se met au boulot.
Et il a honte. Il a honte de n’avoir plus rien d’autre à faire que de plonger Filipo Argenti dans la boue, lui qui fut un ami dans la vie, bien qu’un ennemi en politique, lui qui le trahit jadis au moment où Dante avait le plus besoin de lui, de son savoir, de son soutien et de son amitié. Mais on ne s’embarrasse pas d’un ami dans une mauvaise passe. On le laisse se casser la gueule en regardant ailleurs l’air de ne pas être au courant. Alors Dante aussi va regarder ailleurs. Mais avant, il ne résiste pas à la tentation de plonger Filipo dans la boue, celle-là même où ce dernier le laissa croupir alors qu’il était le seul à pouvoir l’en tirer. « Beau transfert, mec ! » commenterait Sigmund.
Pour continuer à écrire son bouquin, et comme le début a connu passablement de succès, Dante a reçu pas mal de thunes de la Loterie Toscane. Passablement de succès, oui, et des rencontres professionnelles importantes, des promesses d’édition, d’articles, de commande… Un avenir presque radieux. Mais putain qu’il est seul. A ce stade de solitude, même un fantasme est douloureux. Alors Béatrice, ça sera pour plus tard. Le seul qui entourera son cou avec ses deux mains et lui baisera le visage, dans son imagination puis sur le papier, car dans la vraie vie ça fait longtemps que son corps n’est plus touché que par ses propres mains honteuses et par le regard abjectement compatissant de son entourage apparemment révulsé, le seul, donc, c’est papa Virgile.
Dante a honte de lui. Honte d’être tombé si bas, d’être tombé si seul, de ne plus même oser imaginer d’autre corps que ce pauvre corps contre le sien. Frustré, malade, malheureux comme les pierres, Dante s’accroche à la main imaginaire de Virgile, avec en lui le flot de larmes, de morve, de sang et de sperme que la honte l’empêche de faire sortir indifféremment par ses yeux, son nez, sa bouche et son sexe, et continue d’écrire son livre. Le livre de la solitude et de la honte.
Chant VIII (première version)
Dante, déjà passablement émoustillé par le souvenir de cette scène, s’était promis de continuer son récit, mais il n’y tient pas : en un flash-back, le voici replongé dans ladite boue avec Virgile, le chef des village people antiques dont lui-même est le sixième.
Déchaîné, le Dante. Carrément déchaîné. Il a décidé de ne rien nous épargner : après l’allégorie pitoyablement phallique de la flèche et de l’arc qui décoche comme je te dis pas, débarque (au sens propre du terme) une sorte de Darth Vador hyper testostéroné, émergeant des brumes pour se faire casser aussi sec par papa Virgile. Dante se paluche en écrivant ces lignes, rien de tel qu’une bonne scène d’humiliation après l’orgie sado-maso. Mais ce n’est que l’échauffement.
Dans la vraie vie réelle, Dante a un ennemi politique : Filippo Argenti, le vilain noir florentin. Manque de bol, Dante est tellement nul en politique que Filippo ignorerait presque son existence s’il ne le harcelait régulièrement, l’insultant et le hélant en pleine rue à toute heure du jour et de la nuit. Mais Filippo reste zen, au point qu’on peut dire qu’il n’en a rien à foutre du vieux Dante. Confronté à un tel mépris, Dante a piqué une grosse colère, et pour se soulager, il plonge ledit Filippo (qui, entre parenthèses, l’excite à mort) dans la boue, et imagine Virgile lui défoncer la tronche à coups de tatane, puis les gang-bangueurs sado-maso cités plus hauts lui fondre dessus à bras raccourcis. Ça lui suffirait bien à finir sa branlette, mais Dante est un raffiné. Pendant que son pire ennemi se fait déchiqueter son corps de rêve, l’ami Virgile lui roule un énorme steak (et encore, c’est une litote) en lui parlant de sa petite maman en termes élogieux et sous le regard de notre Darth Vador d’opérette. C’en est trop : Dante, celui qui est à sa table en train d’écrire, décharge en un petit cri poisseux et un peu plaintif. Il s’essuie ensuite avec sa tunique, s’y mouche, va pisser dans un coin de la pièce en sanglotant, et finit de noyer son post-coïtum au ratafia avant de sombrer dans la forêt obscure d’un sommeil lourd et pénible.
Quelques jours passent. Dante n’a rien écrit entre temps. Dante est une grosse feignasse qui attend que ça vienne. Dante le frustré (rappelons brièvement que Dante a fantasmé toute sa vie sur une meuf aperçue trois fois, qu’il ne se tape que des thons et que ses gosses sont au fait ceux que sa femme a eus avec un riche évêque de Rome au service duquel elle fut durant quelques années) se réinstalle à sa table avec sur sa tête une casquette plombée, et dans sa tête la merveilleuse séance d’onanisme littéraire de la dernière fois.
Arrive son compagnon de boisson, Brunetto Latino, avec de mauvaises nouvelles : la veille, alors que Dante écumait les bistrots en ahanant son demi chant VIII comme un âne braie lorsqu’il est en rut, et ce dans l’espoir naïf de s’attirer les grâces de quelques demoiselles, en vain comme on s’en doute, se trouvait malencontreusement dans l’un desdits bistrots notre bon vieux Filippo Argenti. Ce dernier a quelque peu pris la mouche, et a mis son zen de côté un court instant pour demander à Brunetto s’il pouvait intercéder en sa faveur auprès de Dante pour que celui-ci lui lâche la grappe, parce que le coup de le balancer en enfer ressemblait à s’y méprendre à du harcèlement moral. Pire que du lait sur le feu, Dante, en entendant ces paroles explose littéralement. « MAIS FAIT CHIIIIIER, MERDE ! » éructe-t-il comme on éjecte un étron d’un rectum, au bord de la rupture d’anévrisme, « MAIS PUTAIN DE MERDE MAIS C’EST DE LA LITTERATURE MERDE, JE SUIS UN PROFESSIONNEL MOI MERDE, C’EST PAS CONTRE LUI PUTAIN DE MERDE, SI IL LE PREND PERSO C’EST PAS MON PROBLEME J’SUIS UN AUTEUR PROFESSIONNEL MERDE FAIT CHIER PUTAIN ». Le visage violacé par la rage, Dante martèle le mur de son pied jusqu’à en saigner, les yeux sortant des orbites, la morve au nez coulant jusqu’aux lèvres et la bave au coin desdites lèvres. « JE SUIS UN PROFESSIONNEL MERDE IL PEUT PAS COMPRENDRE CE GROS CON DE FILIPPO DE MES DEUX DE PUTE A CUL DE BORDEL A MERDE ?! » Il tombe à genoux, n’étant plus porté par son pied meurtri, et tambourine maintenant des deux poings sur le sol, puis renverse table, chaises, chandeliers. Arrivent alors les voisins alertés par le bruit, et qui, à l’aide de Brunetto, maîtrisent le forcené, avec dans leurs gestes la précision de ceux qui ont l’habitude des crises de furie du génie. Il ne faut tout de même pas moins de huit personnes pour réussir à lui faire avaler ses gouttes. Sous l’emprise de cette drogue violemment opiacée, Dante, après une sieste de quelques heures, écrit la seconde partie du chant VIII avec la main tremblant encore de haine pour le Filippo de ses deux.
lundi 14 janvier 2008
Cadavre exquis sur Dante
mb: on a dit qu'on ferait de dante, un star. on a dit qu'on projetterait une étoile lointaine dans ce paysage théâtrale, une étoile qui brille jusqu'au noir obscure.
le projet DANTE est lancé et nous sommes aujourd'hui au milieu d'un chantier : parmi des textes de dante, pasolini, sloterdjik, heidegger, parmi des images de greenway, de godard, d'adriana, de golay, de pesce, de doré et de botticelli. Et les situations pêchent : autant de travail sur le choeur, sur le corps, l'espace et la voix. autant d'improvisations qui cherchent le défi de l'invention. autant de noms pour commettre un crime : représenter l'enfer dans sa totalité, 33 chants +1, portés par le collectif 3 en automne, hiver, printemps et jusqu'aux représentations finales et publiques d'un mois. pas un journaliste qui s'intéresse. pas un mot qui se dit là dessus. le processus artistique ne peut guère vaincre la machine infernale de la production publicitaire et du ragot populaire. Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvais au milieu d'une foret car la voie droite était perdue...
mp:. ce ne sont pourtant pas les ragots qui manquent. Avec les mains baladeuses de B. en répétitions et le teint olivâtre façon camé de Dante. Non, ce qui manque, c'est de faire résonner non seulement la puissance poétique de ce projet, mais aussi sa force politique. parce qu'il s'agit de repenser "l'en-commun" du travail scénique, de réviser les protocoles de production : le vedettariat de la mise en scène, la culture de l'effet ou de la trouvaille scéniques, le mercenariat des comédiens, une certaine précipitation de la réalisation,... Et puis parce que Dante est un écrivain politique, en révolte contre son époque, contre les travers de son époque qui annoncent le capitalisme. En Enfer, de toute façon, tout procède par la gauche. A sinistra. Sinistre.
mb : gauche ou droite ? où commencer? avec dante ou beatrice ? dans la forêt ou la boue. main droite sur son sein, main gauche sur son sexe. premier chant : nel mezzo di camin de nostra vita, mi ritrovai nelle foresta obscurra..... on se perd, on se perd, à gauche et à droite. mais jamais au centre. nous sommes nombreux. entre collectif3, créateurs invités, philosophes, entraîneurs, équipe GRü. nous rôdons autour, chacun à sa manière, chacun à son rythmé. complémentaire ? choix de l'aventure pour la ré-volution du RE-: l'extraordinaire poéte florentin du 14ème siècle ou l'impossible représentation. dante nous donne rv. dante nous lie, nous fait travailler ensemble, il nous oblige à nous confronter, l'un à l'autre. ré-volutionner nous mêmes, nos structures matérielles, mentales, psychologiques, émotionnelles. qui passe par qui ? nous par dante ou dante par nous? match d'envergure : machine dante contre machine théâtre. à gauche. contre la montre.
mp : machine Dante contre machine théâtre. La confrontation semble aller de soi puisque les projets scéniques Enfer ou Paradis se multiplient. Emio Grecco, Roméo Castellucci. Alexis Forestier. Air du temps. Fonds noir de la tasse. Etonnant que, contrairement à Beckett qui ne voyait de l'intérêt que dans le Purgatoire, peu de théâtreux s'arrêtent à ce lieu de passage. Nous, c'est la géométrie, les cris, la nuit, les désespérances et les évanouissements de l'Enfer qui nous retiennent. Pourtant, davantage encore que l'Enfer, c'est lecollectif3 llisant l'Enfer qui est au coeur de la question. Pas la représentation, mais l'impossible de cette représentation? Suivant ainsi Duras quand elle dit: "Ecrire, c'est essayer de savoir ce qu'on écrirait si on écrivait." Penser en chemin, trouver en faisant, partir en compagnie de Dante et Virgile sans savoir quel théâtre est au fond de l'entonnoir, par signé et comment manigancé: voilà le pari.
le pari comme suivant : le collectif3 commence par un travail sur la voix et la résonance, par un travail de langue et d'apprentissage de texte, par un travail d'improvisation. jouissance au commencement ! jouissance à cause des rencontres multiples: dante, moi, l'autre, ensemble, homme, femme, collectif, théâtre, white, rencontre avec le travail, le travail tous les jours, l'artistique toutes les heures, rencontre avec les approches artistiques proposées, avec les entraînements qui ouvrent la journée de travail, avec les espaces et lumières à pénétrer. au seuil d'une aventure incertaine, on ne se pose pas beaucoup de question, on fonce, on ne se pose pas trop de question puisque tout est nouveau. première présentation publique attire une foule de gens. le texte de dante résonne dans la cage d'escalier de la maison des arts, le spectateur marche, l'acteur marche en transportant du son depuis la white box jusqu'au sous-sol, là aussi le spectateur est assis sur les bancs rouge. rouge comme dante. une expérience commence, c'est l'expérience du tout début, le regard ouvert dans le futur. puis viennent les relais des créateurs, des personnalités nouvelles interviennent, autant d'étrangères qu'au début qui désirent marcher ensemble un peu plus loin vers une fin plus proche. on recommence. on reprend. on redit. on n'est plus au début. on y est maintenant ! comment continuer ? où aller ? l'énergie du début a crée une direction. maintenant qu'on y est, il faut la créer, la développer, il faut oser le dante. il faut le faire. tous. et ensemble.
Traversée en 699 mots...
Le collectif3 y entre avec toutes ses affaires.
Pascal Rambert, Denis Schuler, Jocelyne Rudagasiwa, Sandra Amodio passent.
Dominique Falquet entraîne chaque lundi matin au saolin kung-fu.
Michèle Pralong et Manon Pulver mettent en place des discussions sur le processus de travail.
Cindy Van Acker et Sandra Piretti proposent 2 heures de Yoga chaque jeudi.
Maya Bösch travaille les Chants de l’Enfer, approche l’espace de la white box, développe des règles de jeu pour des premières improvisations, crée des paysages de parole et d’action.
Michèle Pralong convoque Pasolini.
Maya Bösch Sade.
Marco Berettini Sloterdijk.
Manon Pulver initie l’entonnoir, une perfo avant les présentations publiques du DANTE ALL STARS.
Pulver développe également le blog.
Dorothea Schürch travaille la voix, la respiration, le corps vocal et fait des mises en espace sonores.
Schürch dessine et fait dessiner le collectif3 sur les exercices au cours.
Schürch fait la scie lors de l’entonnoir avec Manon Pulver et tape sur le clavier pour faire signe au collectif3 de changer la règle de jeu.
Maya Bösch propose des habits de travail pour le collectif3 ; pantalon gris et chaussures Nike.
Regis Golay passe et propose de mettre le collectif3 en training rouge.
Noël s’approche.
Le collectif3 apprend, s’exerce, s’adapte, expérimente, s’invente, compose, se questionne, se révolte, se perd et se retrouve.
Marco Berettini, Josef Szeiler, Dorothea Schürch, Gilles Tschudi passent.
Golay les amène à l’imprimerie et fait la première photo du collectif3 publié dans le Courrier du 2 novembre 08.
Josef Szeiler ouvre un chantier d’improvisation et transforme le Grütli.
Rambert propose aux acteurs de travailler à partir de février, nus et dans les deux espaces, white et black. Il cherche pour ce travail des participants, professionnels et volontaires en plus du collectif3.
Le collectif3 apprend, s’exerce, s’adapte, expérimente, s’invente, compose, se questionne, se révolte, se perd et se retrouve.
Szeiler fait construire des bancs rouges pour les lecteurs-citoyens d’un Chant de Dante qui sont lus avant chaque représentation au GRÜ.
Sylvie Kleiber vient, regarde et écoute le travail, note et réfléchit à L’Enfer Dante.
Pralong travaille avec Bösch, Bösch avec Schürch et Szeiler, Pralong avec Pulver, etc...
Des bancs rouges sur 3 étages, sur toute la verticalité.
Les lectures des Chants de l’Enfer, le Purgatoire, le Paradis pour toute la Maison des Arts et pendant toute la saison.
Toute l’équipe y passe pour lire.
Szeiler fait construire des panneaux rouges dans le couloir de la white box et le collectif3 y écrit les Chants de l’Enfer.
Adriana Caso-Sarabini filme; elle filme tout ; elle monte le tout.
Bernard Schlurick continue à brasser son Observatoire Dramaturgique ouvert à tout le monde les lundis à midi et réserve une intime heure de Danthologie au collectif3.
Gilles Tschudi travaille l’Enfer autour de la lune noire et fait deux nuits blanches en impro avec le collectif3.
Le GRÜ cherche des lecteurs pour les Chants de Dante sur les bancs rouges.
Jean Michel Broillet installe des vestiaires dans le couloir de la white box pour les affaires du collectif3.
Roberto Degrassi passe régulièrement pour éclairer le politique dans l’affaire de Dante.
Madame Luciana chante sur les bancs rouges.
Kleiber va poser du papier kraft. Partout.
Lors de la nuit blanche avec Tschudi, Barbara Baker se lance dans une écriture automatique en temps réel et défie ainsi la production poétique de la maison.
Marco Berettini fait un soap de l’Enfer sur des personnages choisis par le collectif3 ; il convoque Riefenstahl, Eisenhower, Macchiavelli, Harding, Björk etc…
Fred Jacot-Guillarmod tombe malade.
Gaël Kalimindi tombe malade.
Michèle Gurtner tombe malade.
Roberto Garieri perd sa voix.
Michèle Pralong se fait piéger par le collectif3 qui met en scène une situation d’imposture sur la colère.
Sandra Amodio et Brice Catherin travaillent sur la colère, la spirale, le chant 7 et 8, et sur les sonorités du texte.
Parfois on aboie. Parfois on chie.
Le collectif3 prend et apprend, s’exerce, s’adapte, expérimente, s’invente, compose, se questionne, se révolte, se perd et se retrouve.
Manon Pulver parle du Harakiri lors de son entonnoir.
Fin novembre, Manon Pulver quitte le projet.
Tous les jours.
Tous ensemble.
Tous les jours ouverts au public.
On écrit Dante.
Le GRÜ passe en l’Enfer.
Maya Bösch
mardi 20 novembre 2007
Une respiration
Dans le Haut Enfer, les damnés ont certes péché et ignoré Dieu, mais ils ont surtout agi contre eux-mêmes. luxurieux du 2éme cercle, gourmands du 3ème, avares et prodigues du 4ème, ils se sont perdus dans de fausses passions. Avec les coléreux du 5ème cercle, on entre lentement dans le bas Enfer, où les damnés ont de surcroît beaucoup nui à autrui. Le mal prend de l'ampleur, les supplices empirent, la souffrance augmente, et la peur de Dante ne fait que croître dans son cheminement vers les abysses...
Dès lundi prochain et jusqu'au 15 décembre, le labo reçoit la metteure en scène Sandra Amodio, qui entraînera les laborantins dans les boues coléreuses du 5 ème cercle, avec à ses côtés Brice Catherin, musicien, compositeur et membre du collectif3.
GRANDE FIGLIO DI PUTTANA! 14 et 15 décembre à 19h au white box, les portes s'ouvrent sur une nouvelle étape de travail.
"Qui è l'intrata." ( Voici l'entrée. Enfer, Chant VIII, vers 81)
vendredi 2 novembre 2007
l'automatique (frag) ment, par barbara baker
Le comédien et metteur en scène Gilles Tschudi est venu travailler une petite semaine avec le collectif3 du 22 au 27 octobre. Un travail d'improvisations personnelles qui devait se terminer sur deux nuits entières de recherche. Une seule aura lieu finalement, le second soir se terminera vers 23h, tout en douceur, sur des chants. Cette nuit là donc, recherche sur l'obscur - lune noire, nuit noire, inconscient, à l'image de l'inconscience dans laquelle tombe Dante à la fin du chant - et recherche parfois obscure pour ceux qui sont venus partager un peu de veille au deuxième étage du Grütli. Une expérience étrange et sujette à controverse au sein du collectif3, avec d'indéniables moments de grâce: ainsi celui-ci, où Barbara proféra un texte qu'elle avait écrit, sur un mode quasi automatique, au fil des heures. Ceux qui étaient là en parlèrent les jours suivants. Ce texte restituait au plus près l'état de l'étage tel qu'il vibrait aux petites heures de l'aube. A la demande de le faire figurer sur le blog et tout en sachant que du dire instantané au lire différé il y a bien sûr déperdition, elle a répondu d'accord. Le voici.
Nuit du 26 au 27 octobre.
Cercle des luxurieux.
La contrainte que je me suis fixée : écriture automatique, écoute de tout ce qui a lieu dans l’espace où nous improvisons, le texte de Dante.
Sans ponctuation, reponctué pour le blog.
susciter le désir
apprendre de l’autre
bégayer
je t’aime
o dio rispondi
écrire ce qui passe par la tête en relation avec Dante tout ce bruit ici quel enfer si on veut d’abord je chanterai la louange de celui qui vint ici en un lieu où la lumière se tait tu entends le bruit des bottes les marches au pas tu les entends les tam-tams je mangerais bien un yogourt du milieu de la nuit de notre vie de nos vies rassemblées erzähle mir! erzähle mir! et voilà la musique quand la musique le bruit commence les couleurs se brouillent à peine encore de quoi te foutre la main au cul et depuis le bord de l’abîme il y en a un qui se jette sur les arbres de douleur où se font entendre les premiers pleurs de ma poésie à deux balles du samedi soir on est vendredi et on en revient au réel give me! give me! j’ai déjà donné j’ai pas cent balles du samedi soir j’ai déjà dit ô Paris sur la pente de l’éboulis de mes deux guides à travers plages et quadrature du cercle le carré de ta tête au carré sur les genoux de l’oncle de la sœur du père de la fille de la mère du plomb dans l’aile comme un vol de journal du voleur c’est qui ce vieux? ce vieux ?!! Jean Genêt! Jean Genêt un tombeau pour Anatole Mallarmé mal armé, Achille? Achille Ulysse la Grèce celle de mes cuisses tu veux visiter? a pris a pas pu y peut plus a pas chu est pêchu eppe! appache apatatra à la la sur le dos vivant de kirikou je triche du corps de la suite des exacts événements ça boume tu veux un morceau de moi une pisse de moi a peace of me waouw c’est super dit-elle boum boum boum chant V hourra fuite en silence gorge les gorges vomir j’ai envie de vomir fiel bile te fais pas de bile mais tout le monde s’en fout s’enfouit s’enfuit s’en fut sans fut en chemise sans pantalon mon pantalon sent le gris CHANT DES PETITES HEURES : LE MATIN TU T’EVEILLES/ C’EST PLUS MOCHE QUE LA VEILLE/ TU FRISSONES TU AS FROID/ TU TE TIRES DE CHEZ TOI au milieu du chemin de notre vie/ je me retrouvai par une forêt obscure/ car la voie droite était perdue Sémiramis Didon Cléopâtre Hélène ont la même conception de la luxure la raison est soumise aux désirs 200 000 morts pour une femme désirante 200 000 petites morts pour une femme désirante TU VEUX OU TU VEUX PAS ? SI TU VEUX… la tyrannie de toutes les facultés par une seule Lucie Lucie Véronique Gilles Jeanne Gael Fred Brice Dominique Michèle Michèle Manon Bernard où est passé le chien? Adriana Barbara Dante Virgile Minos Sémiramis Francesca Francesca Francesca cesca sca aca faire aca partout comme les australiens y a qu’à yucca ici commencent à se faire entendre les notes douloureuses Roberto Laurent un homme au cheveux long tip tip tip tu le sais ton texte? extirpé sorti de tes tripes de ta course de ton souffle de tes pores de ton corps de tes coups de tes couilles de ta bouche de ta gueule de ta gueule ta gueule! ta gueule! pourquoi cries-tu ainsi lui dit mon guide Minos horriblement horriblement de de de comme les étourneaux sifflent j’efface j’ai face rouge fut qui combattit à la fin qui baise sa femme vous vous autorisez et je devins comme égaré plus près de nous parce que lui-même il a dû le faire et pas chanter ô créature gracieuse et bienveillante on à le droit l’œil nous si cette personne donc les aveugles ne peuvent tomber amoureux alors maintenant il essaye de se repentir dévotion observance des lois divines l’enfer commence par la condamnation de son propre péché comment permit amour blablabla j’étais Hamlet aucune valeur ne doit égarer la raison quand nous vîmes le rire désiré être baisé par tel amant/ celui-ci qui jamais plus ne sera loin de moi et de Dieu on en a rien à Cara elle a pas les moyen de comprendre tap tap tap putain! Dieu a fait plusieurs choses mais peut-être que Dieu quelle Cléôpatre ha !ha !ha ! silence je fléchis TON CORPS EST COMME UN VASE CLOS/ J’Y PERCOIS PARFOIS UNE JARRE/ COMME UN POISSON AU FOND DE L’EAU ( ?) / ET QUI ATTENDS UN NAGEUR RARE de mémoire Léo Ferré LA DOUDOU/ ELLE S’EN FOUT/ AU MOIS D’AOÛT/ ELLE MET LES BOUTS de mémoire pas Léo Ferré y vont s’arrêter y vont s’arrêter pourquoi je cours Francesca et son ex à la Caïne et Malatesta malpensa et Milano Malpensa et le retour en avion à hélices son nom Luigi Pirandello et la climatisation ne marche plus buvons on va tous crever dit l’hôtesse authentique! allez chéri je t’embrasse avant la mort l’avion part en vrille dans le même cercle à tout de suite en enfer et mais regarde Didon dis donc c’est pas Didon elle est née où est née… est née… elle est bien bonne celle-là ça c’est Enée qui le disait forcé à quitter forcé à quitter Oui, je pars, Fritz. (…) Je ne te l’ai pas dit que je voulais partir, que je voulais partir depuis longtemps, parce que je ne peux pas te parler quand je te regarde, Fritz. aaaaaaaaah quitter kit mains libres ballades les mains baladeuses pelotage pelote laine j’ai froid froid froid y a le film sur l’ordinateur de G.T. qui dit yeah ! en voilà un vraiment satisfait con fesse un cri ! moins d’espace et plus de cris … enclôt moins d’espace/ mais douleur plus poignante et plus de cris je tourne en rond c’est normal on est dans des cercles je me mords la queue c’est normal t’as pas encore pigé le deuxième cercle le deuxième cercle le deuxième cercle je descendis ainsi du premier cercle/ dans le second qui enclôt moins d’espace/ … et plus de cris/ elles parlent, entendent et tombent / vois comme tu entres et à qui tu te fies tu fais la secrétaire ou quoi? ou quoi? quoui couac quoi que par vents contraires la terre d’ou je viens / et la manière me touche encore me touche au corps bons appétits maître, qui sont ceux-là qui sont châtiés par l’air noir? elle est Sémiramis Didon Cléopâtre Hélène Achille Pâris Tristan plus de 1000 quoi d’neuf docteur je commencai je commençai forcé à quitter sa sent la fin et je tombai comme un corps mort comme! pas encore mort et la manière me touche encore / amour me prit si fort de la douceur de celui-ci / la Caïne attend celui qui nous tua piano concerto Hélas! que de douces pensées je me retournai vers eux à quel signe la mort du cygne le chant du cygne chant cinquième racine première de notre amour plusieurs fois la lecture un seul point ce qui nous vainquit lorsque nous vîmes le rire désiré être baisé par tel amant un seul point le point G le point je le point je comme si je mourrais comme tombe un corps mort comme ! come ! viens! viens! viens! et je vins en un lieu où la lumière n’est plus Liszt pareil ça c’est ma préférée qui vient mon guide descendit dans la barque les flots eau morte fange avant le temps et je crains de m’être levée trop tard après qu’elle alors il tendit ses deux mains vers la barque / baisa mon visage et me dit … / … comme porcs dans l’ordure comme! sus! comme ça se prononce comme! la cité désolée sortez, voici l’entrée! secret viens seul qu’il s’en aille! pense lecteur! plus de sept fois cette fois j’arrête si! si! je ne te laisserai pas dans le monde d’en bas les yeux à terre / qui m’interdit les tristes demeures Liszt sans serrures sur elle les lettres de mort quelqu’un par qui la ville sera ouverte Liszt préféré ici commencent les notes douloureuses à se faire entendre / va t’en d’ici avec les autres chiens … je voudrais tant/ le voir plongé dans le bouillon il est onze heures sus! comme ça se prononce comme! avec les dents je vous aime notre musique voix propre qu’il veut faire entendre voix propre c’est quoi dégueulasse chaque voix comme si Dante devait redescendre aux Enfers… je me suis endormie sur le clavier pas du piano de mon Mac moi sa putain il me force à quitter je mangerais bien une pomme un fruit c’est pas défendu pas Eve, Lilith tout ça pour placer la lune noire c’est pas vrai! le ver est dans le fruit une topographie de l’Enfer 23h05 entre les deux parties de Godot il y a la nuit sea sex and sun quand on a pas parlé depuis longtemps on sait plus comment l’ouvrir jazz il y avait ce type dont la sonnerie du portable était le cri de Tarzan fugue Azucena j’ai une ford scorpio automatique l’automatique ment stop 23h14 à suivre chant V CINQ HEURES DU MAT J’AI DES FRISSONS/ JE CLAQUE DES DENTS ET JE MONTE LE SON I’LL NEVER LIVE YOU la femme debout se frotte à la chiffonette Lucie ennemie de toute cruauté Lucie ennemie de toute cruauté se mit en chemin et vint là où… /… sur la douce montagne mais qui comprendra personne jamais ne fut plus prompt/ à faire son bien et à fuir son dommage dommage! stop stop stop il faut savoir s’arrêter tu t’éloignes l’automate hic! ment 23h30 ça avance pas vite mais l’énergie remonte Lucie E. … ennemie de toute cruauté se mit en chemin/ et vint là où j’étais… danse bras bras et toi tu t’appelles comment ? Fabio. Ah . et ce connaisseur de péchés/ voit quel lieu leur convient dans l’enfer/ de sa queue il s’entoure autant de fois/ qu’il veut que de degrés l’âme descende et je vins en un lieu où la lumière se tait / nous dont le sang teignit la terre/ la terre où je suis née … je vois plus rien qui a éteint? que personne ne sorte ! vous qui entrez laissez toute espérance chant cinquième racine première de notre amour plusieurs fois la lecture nous fit lever les yeux/ et décolora nos visages 23h49 ouh ouh ouh ouh ouh ouh
Re-prise prise de H huitième lettre de l’alphabet musique mehr licht! j’y vois vraiment plus rien et je vins en un lieu où la lumière se tait dois accomplir quelque chose seule. Entre Godot il y a la nuit. Entre mes cuisses il y a le chant V. 00h16 après une courte pause après une courte pause tentative hypothèse Dante est dépressif il a besoin d’une ballade en forêt stop qui lit par dessus mon épaule? Manon, ma si ! comme ça s’écrit comme ! rien rien je pense rien piano grave bruit de bouches dents retour au chant aux champs faucher la grande faucheuse hors sujet !00h23 00h34 si fort fût mon cri affectueux / si forte fu l’affetuoso grido plage musicale mon ami vrai et non ami de la fortune/ est empêché si fort sur la plage déserte/ que la peur le fait s’en retourner/ et j’ai peur qu’il ne soit déjà si égaré/que je ne me soie levée trop tard à son appel
4h14 forcé à quitter: tout perdu ce qui a été écrit depuis 3h....
mercredi 3 octobre 2007
mercredi 26 septembre 2007
traduire dit-il
Brice Catherin*, 24 septembre 2007
Cessez de parler, la guerre menace
Je suis assez frappé, comme beaucoup d’autres, par le gouffre séparant les langues italienne et française. Après lecture de deux extraits des chants de l’Enfer en italien, force est de constater que cette langue, même colorée par un subtil accent français, garde un pathos inhérent à son rythme, son articulation, et surtout au chant de ses voyelles, que le français perd. Je m’excuse d’ors et déjà auprès des éventuels lecteurs de ce blog de livrer une telle lapalissade, mais il me semble important de rappeler cette constatation. Quant au pathos dont je parle, il ne s’agit aucunement d’un pathos lourdingue, mais d’une émotion dont on ressent la troublante justesse non sans un certain étonnement, nous, pauvres francophones habitués à l’objectivité presque clinique de notre phrasé.
J’ignore s’il ne s’agit ici que de pure subjectivité. Je me souviens de cette Chinoise me louant la beauté de la langue française, alors qu’elle trouvait que l’italien en faisait trop… Peut-être n’était-ce que pour coucher avec moi qu’elle fit au français ce compliment. Enfin je dis ça mais en même temps je me suis pris un râteau quand je lui ai proposé de mettre la beauté de ma langue dans sa bouche.
Du coup on en vient à envisager très franchement cette question : le français est-il une langue possible pour jouer (lire, déclamer, chanter…) La Divine Comédie ? Ce texte lu en français peut-il être autre chose qu’un malentendu ? Car, si le langage structure la pensée, comme me le rappelait il y a peu Sigmund lors de l’une de nos interminables conversations téléphoniques nocturnes, la langue, elle, structure l’émotion. A paroles égales, l’émotion ressentie en français sera (serait ?) bien moindre que celle ressentie en italien, qu’on comprenne ou pas ces deux langues. Alors comment rattraper ce handicap ? Faut-il seulement le rattraper ? Et tout ceci n’est pas facilité par la forme poétique du texte, car comme me le rappelait il y a peu Milan lors d’une de nos interminables conversations téléphoniques nocturnes, si la prose peut être traduite de manière équivalente par un utopique traducteur parfait, pour la poésie, on sait d’entrée que c’est foutu d’avance, puisque la poésie ne prend sens que dans sa langue originale. (Pour tout un tas de raisons que j’ai la flemme d’exposer ici.) (D’ailleurs, si vous le savez pas, j’ai pas envie de vous parler. Fermez cette fenêtre, et allez sur des sites de cul.) (Non, je n’ai pas envie d’être tolérant.
Ceci me conduit à pousser notre raisonnement plus loin : il faut interdire la traduction de la poésie. Ça ne peut créer que des malentendus. Et les malentendus, c’est mal. (Vous allez voir plus bas pourquoi, et vous allez être subjugués par ma virtuosité démonstrative.
Et j’irai même encore plus loin : si la poésie crée des malentendus lors de sa traduction, c’est parce qu’elle en crée déjà dans sa langue originelle. Il faut donc interdire la poésie. Et je le prouve : quand le président français (dont le nom m’échappe à l’instant) déclare avec le lyrisme qui le caractérise à son nouveau pote Kadhafi (le mec qui préside la Libye avec le talent que l’on sait) sur l’air de La Traviata : « Tieeeeeeens, je te vends uneuh usiiiiine nucléaire à dessaler l’eaaaaaaaaau de mer », ça veut bien entendu dire : « Bon, vieille quiche, je te file la technologie nucléaire pour que tu puisses construire tranquillos des petites bombes H de derrières les fagots, hein, copain ? », et comme les gens sont nuls en poésie, ils n’y voient que du feu et le président de la France gagne des points dans les sondages parce qu’il n’a pas fait libérer des infirmières bulgares (vu que c’est pas lui) tout en vendant l’arme nucléaire à un terroriste chef d’Etat. Comme virtuose, il se pose là, lui aussi. Comment peut-on encore tolérer la poésie après ça ?
Et d’ailleurs je vais aller encore plus loin. (Pardonnez mon audace.) Milan l’a dit (un peu plus haut, pour ceux qui ne suivent pas), une traduction parfaite est virtuellement possible avec de la prose. Virtuellement, parce que le traducteur parfait n’existe pas. D’ailleurs la perfection n’existe pas, je vous apprends rien, sauf l’amant parfait, mais c’est une autre histoire que j’aurai peut-être l’occasion de raconter une autre fois, et d’ailleurs on n’est pas là pour parler de moi. Alors quoi, quand on sait qu’une langue est, au plus, partagée par un cinquième de l’humanité, c’est mal barré pour éviter les malentendus. Si on est obligé de se parler, on est obligé de se traduire, et donc on est obligé de multiplier les malentendus. Or, comme je l’ai démontré plus haut (c’était le fameux moment de virtuosité démonstrative qui a dû vous subjuguer), les malentendus, c’est l’arme atomique, et l’arme atomique, ça finit tôt ou tard sur la gueule du voisin. Moralité : le langage, c’est la guerre.
Alors arrêter de parler, la guerre menace.
(Pour ceux qui ne sont pas très forts en prénoms : Sigmund est Freud, et Milan est Kundera. Quant au président français, ça me revient toujours pas.)
jeudi 20 septembre 2007
La vraie vie est ailleurs
jeudi 23 août 2007
Portrait de laborantin
